Mengzhi Zheng

paris
17.02 → 16.03.2024
galerie Idéale, Paris

L’exposition paris offre une nouvelle opportunité à Mengzhi Zheng de présenter son travail dans toute sa diversité, révélant ainsi les multiples facettes de sa pratique artistique.

Le titre de l’exposition, choisi par l’artiste, évoque autant la ville qu’il retrouve après dix années de travail à Lyon que la dimension de prise de risque qu’il affectionne dans son travail.

Dès l’entrée, les visiteurs se retrouvent face à un choix : partir à gauche vers la grande salle principale où l’on devine d’étranges étagères faites de bois bariolé sur lesquelles des objets aux formes géométriques sont minutieusement placés, ou aller à droite où une structure en sapin faite de cadres rectangulaires, telles des armatures, guide le spectateur à travers une salle de l’exposition.

Dans la salle principale, une imposante plateforme rectangulaire, tronquée d’une diagonale et surélevée du sol par de mystérieux cadres en bois, offre un support à une série inédite de sculptures. Confectionnées à partir de panneaux d’agglomérés mélaminés provenant de meubles jetés, l’artiste fait le choix délibéré de travailler cette matière qui peut être qualifiée d’inférieure. Ces panneaux, glanés semaine après semaine, ont ensuite été découpés par l’artiste, puis réassemblés, créant ainsi des agrégats de matière à la fois familiers et énigmatiques. Ces assemblages se révèlent à nous comme des compositions brutalistes aux géométries intriquées. Par leurs formes, ils évoquent des bunkers, des forteresses ou des ruines dont l’architecture condensée semble avoir des buts défensifs. Tels des palimpsestes, ils portent les vestiges de l’ancienne vie des matériaux qui les composent : d’anciennes marques d’arrachement du bois laissées apparentes, des trous d’assemblage, des éléments de jointure en plastique, une pièce de métal servant à accrocher une barre de dressing. Ces détails nous renvoient à leurs anciennes fonctions utilitaires. L’artiste a poncé les surfaces mettant par endroit le bois à nu, créant ainsi des dégradés de blanc vers le gris et le beige.

Au mur, une série de plateaux accrochés à hauteur du plexus solaire présente d’autres assemblages du même type. On remarque vite que les sculptures et leurs présentoirs sont faits de ces mêmes matériaux, des planches récupérées et assemblées de manière Bigarrées, qu’il a poncées et enduites comme pour tenter de les « dé-industrialiser ». Ce ponçage sélectif peut paraître anodin mais il est fondamental pour l’artiste. Ce faisant, il ré-injecte de l’artisanat dans ces matériaux issus de l’industrie. Il révèle le bois, crée des rondeurs plus organiques là où il n’y avait que des surfaces aseptisées. À l’inverse, il enduit les tranches faites de bois aggloméré, comblant ainsi les interstices entre les fibres déchiquetées et thermocollées du bois, comme pour panser les plaies de cette matière. Allant par ensemble de 5, 3 ou 2, ces œuvres sur plateaux forment de véritables compositions abstraites dont la délicatesse des couleurs et le raffinement des formes nous emmènent du côté du cubisme analytique d’un Georges Braque. Les sculptures ne cherchent plus à évoquer l’architecture. Les formes se simplifient. C’est leur matérialité qui devient le sujet même de leurs formes.

Dans la deuxième salle d’exposition, Mengzhi nous guide à travers l’espace par une série de cadres en bois qui forment une sorte de cabane sous laquelle le spectateur doit passer pour continuer sa visite. Ce système qu’il titre pli/dépli, l’artiste l’utilise régulièrement comme un outil servant à orienter le spectateur autant qu’un système hérité de l’art minimal et conceptuel pouvant se déployer en tout lieu selon les règles qu’il établit. S’apparentant aux armatures d’une construction, elles posent la question du plein et du vide, du dedans et du dehors, si chers à l’artiste. À travers cette étrange cabane, on distingue une grande étagère blanche formant une diagonale entre deux murs de l’espace d’exposition. Les plus attentifs remarqueront que ce triangle est la partie tronquée du grand plateau se trouvant dans la pièce principale, encore un jeu de l’artiste qui a souhaité tracer une diagonale mentale dans tout l’espace d’exposition. Dessus, deux assemblages aux formes complexes retiennent notre attention, l’un évoquant l’architecture déconstructiviste, l’autre l’architecture sur pilotis. Faits des mêmes matériaux de récupération, elles semblent s’apparenter plus directement à des maquettes, comme si l’artiste présentait un concours d’urbanisme. Un autre mur présente une grande composition colorée faite de 6 sérigraphies contrecollées sur des cadres en bois et assemblées en polyptyque. Cette pièce, qui s’apparente par ses couleurs et les formes géométriques qui la composent aux toiles d’un Kandinsky, montre toute la qualité de composition dont l’artiste sait faire preuve. À y regarder de plus près, on peut s’imaginer devant le plan d’une ville, le titre Aplatir le ciel nous emmène lui dans un monde plus poétique.

Reste la dernière salle du bureau où l’artiste montre notamment une série de gravures datant de 2009 à 2011. Figuratives, elles représentent des constructions en Chine mais la composition ainsi que la multiplication des lignes tendent à brouiller la compréhension de l’image. Cette série, qui marque le point final de l’exposition, nous renvoie à l’enfance de l’artiste et au choc des cultures auxquelles il a été confronté quand, à sept ans, il s’est installé avec sa famille à Paris.

Dans cette exposition, Mengzhi Zheng réussit le pari d’« agglomérer » banal et énigmatique, invitant le spectateur à voir le monde sous l’angle des matériaux qui l’entourent mais desquels il reste aveugle. Il poursuit son travail sur le rapport entre architecture et sculpture tout en faisant un pas significatif vers une abstraction plus radicale. À la manière d’un Richard Nonas, il utilise les codes et le langage formel de l’art minimal mais y injecte une sensibilité et une poésie qui transcendent les frontières entre le beau et l’ordinaire, le bien fait et le mal fait, l’industriel et l’artisanal. Chaque pièce est une invitation à explorer notre rapport à l’espace, et à célébrer la beauté insoupçonnée qui réside dans les recoins les plus modestes de notre quotidien.
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Damien Lévy
Fondateur de la galerie Idéale
www.galerie-ideale.com

Presse

> Phillipe Ducat, artpress 520, avril-mai 2024


Photo © Adrien Thibault