Mengzhi Zheng

Cosmic Players
01.09 → 22.09.2014
galerie martinethibaultdelachâtre, Paris
sur une proposition de Basserode

avec Marion Charlet, Elodie Fradet, Sandra Lorenzi, Mengzhi Zheng

Les 7 premières Maquettes abandonnées sont montrées pour la première fois au public.

L’exposition Cosmic Players rassemble quatre jeunes artistes aux démarches différentes.

Marion Charlet, Elodie Fradet, Sandra Lorenzi et Mengzhi Zheng, utilisent respectivement la peinture, la vidéo, la sculpture… Ce sont les « Cosmic Players », les acteurs d’un jeu nouveau, à la manière du principe des quatre éléments (le Feu, l’Air, la Terre, l’Eau) mis à jour par *Empédocle au V° av. J-C. Leurs œuvres deviennent des rouages confrontés au mécanisme du temps et des contres temps comme pour constituer une forme de calculateur astronomique. L’espace de la galerie devient un « **Anticythère » où les œuvres se déplacent sur des lignes sinueuses crantées. Ces crans ou mélangeurs d’œuvres, génèrent des propositions inédites, créant ainsi sans cesse de nou- veaux paradigmes qui interagissent avec les démarches personnelles et collectives de ces quatre artistes, les confrontant à des espaces et des rebonds du temps qui nous échappent.

Basserode

*Empédocle : Philosophe, ingénieur, Médecin Grec V° Siècle av. J-C
**Anticythère : Calculateur Astronomique 87 av. J-C

Texte par Jean-Louis Poitevin, écrivain, critique d’art, docteur en philosophie,
rédacteur en chef de la revue en ligne www.tk-21.com

 

Agir l’espace

Notre conception de l’espace, et de l’espace habitable ou à habiter en particulier, est conditionnée par cette histoire pendant laquelle l’homme a construit ses maisons et au milieu de laquelle nous vivons. Cette histoire connaît un basculement radical depuis quelques décennies, période durant laquelle, nous sommes passés de l’espace construit au « junkspace », pour reprendre l’expression proposée par Rehm Koolhaas pour nommer la mutation du statut de l’espace à l’oeuvre dans les mégapoles.

Un espace habitable est un ensemble de repères permettant de s’orienter et qui ont pour finalité d’offrir à ceux qui y vivent la sensation profonde que cet espace peut devenir leur territoire, c’est-à- dire le domaine dans lequel il peuvent vivre sans crainte. L’espace habitable, maison, village ou ville est construit comme une protection contre des dangers et plus globalement contre la peur. Mais la très grande ville, elle qui parvient à éloigner la plupart des sources d’angoisse ou de peur, le fait au prix d’un effacement du recours, dans son organisation intime, à une certaine forme d’unité, d’équilibre, d’harmonie, éléments qui jouaient un rôle central, quoique souvent de manière implicite, dans la conception de l’espace.

Aujourd’hui, penser l’espace habitable, celui de la ville comme celui de la maison, celui des murs extérieurs comme celui de l’aménagement intérieur, est ungeste mental qui se heurte à ce double constat, de l’envahissement du monde par le junkspace et de l’enfermement de l’habiter dans des formes moins utilitaires que dégradées d’un espace à la fois réel et impossible.

Mengzhi Zheng, en réalisant chez lui dans son salon avec des matériaux « pauvres » qu’il rassemble (bois de cagette, carton, carton plume, cordelette etc…) et qu’il garde à portée de la main, sept maquettes qu’il nomme des « maquettes abandonnées », semble non seulement prendre acte de cette tension actuelle autour de la question de l’espace mais en faire le moteur de sa réflexion.

Ces maquettes n’ont pas vocation à être réalisées à une échelle humaine ce qui n’exclut pas la possibilité qu’elles le soient un jour. Il faut plutôt envisager ces maquettes comme des structures de projection mentale, comme une invitation à une traversée et à une expérimentation d’un espace troué, mité, mais léger et aérien.

Elles répondent à une esthétique du « bien fait mal fait » qui pourrait nous faire penser de loin à Robert Filliou, en particulier par leur exécution rapide et improvisée, chaque geste étant accompli par rapport au geste qui le précède.

On pourrait ainsi arguer que ces séries de gestes sont comme une improvisation portée par l’idée d’une traversée de l’espace, traversée qui serait en même temps, et le geste qui le « construit » et celui qui déjà l’efface ou l’abolit.

C’est peut-être, dans ce cas, une manière de prendre en charge d’un point de vue de lilliputien, l’angoisse profonde que génère le junkspace, et en inventant des sortes d’habitats non habitables, de montrer que ce qui importe dans l’espace, c’est ce mouvement de déplacement par lequel se manifeste à la perception et au vécu ces « espaces entre deux » ?

Là où, dans la réalité, les besoins des hommes les conduisent à réaliser à taille inhumaine ces espaces « entre-deux », à en faire le prototype absolu du cadre de vie, Mengzhi Zheng, lui, en fait le point de départ d’une approche ludique qui transforme cette dureté coupante du déchet glorifié en légèreté.

Du cœur de cette série d’ambivalences qui régit la forme de ses maquettes – le vide et le plein, l’équilibre et le déséquilibre, l’habitable et le non habitable – il fait jaillir ces structures fragiles, qui par l’inévitable projection mentale qu’elle requièrent de nous, nous font éprouver des possibles nouveaux dans lesquels la maladie de l’espace se transforme en une sorte de baume et de pansement salvateur.


Photo : Mengzhi Zheng © Adagp, Paris.