Mengzhi Zheng

A table !
Groupement d’Art Contemporain (GAC), Annonay
12.01 → 17.01.19

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Note sur l’exposition de Mengzhi Zheng,
par Jean-Louis Poitevin, écrivain, critique d’art, docteur en philosophie,
rédacteur en chef de la revue en ligne www.tk-21.com

 

A table !

Mengzhi Zheng, s’il est un adepte du dessin et de la couleur en deux dimensions, est aussi un artiste de la ligne et du volume en quatre dimensions. Ses maquettes, bien sûr semblent obéir à la loi de la structuration rationnelle de l’espace à partir des trois dimensions connues de tous. Mais elles en incluent une quatrième qu’il faut bien appeler “vide”. Ce vide n’est pas manque, il est action. Il ne cesse de passer entre les pans de couleur et les plaques de bois, de souffler entre les arrondis et les angles, de creuser le silence entre les lignes, d’affirmer qu’il existe quelque chose de non visible mais de sensible qui court entre l’œil et la main comme entre le soleil et la terre.
Chacune de ses œuvres, qu’elle soit dessin ou maquette, gravure ou construction in situ, opère à partir de deux forces. La première est une force explosive à laquelle rien ne semble devoir résister. Un vent souffle, inconnu qui emporterait tout si quelque chose d’essentiel ne semblait pouvoir retenir ensemble ces fragments de possible, ces souvenirs du futur, ces structures rêvées. La seconde est une force liante en ce qu’elle parvient à faire revenir ce vent invisible sur la trace incernable de son passage.
Alors en effet, traits ou lignes, échafaudages bancals ou constructions affermies sur leur base de bois, pans colorés ou serpentins de formes évoquant de minuscules maisons se déployant dans la nudité d’un blanc, tout se retient de fuir, chaque élément semblant s’éprendre de celui qui lui est le plus proche.
Si le dessin agit, toujours, en relation directe avec la vitalité créatrice, les volumes qui s’installent au croisement entre vide et matérialité, agissent directement sur la chair du rêve qui ne cesse de frémir en chacun de nous. C’est cette chair du rêve qui s’expose ici en une succession de plats à portée de main qui semblent moins nous appeler à les saisir qu’à les prolonger mentalement par un geste. C’est ainsi que nous nous mettons à dessiner et construire et détruire et reconstruire encore, voyageant à travers les formes et les lignes, les couleurs et les plis, épousant le vide devenant le vent.

Avec les yeux seulement !

Là sur les tables, il y a quelque chose, alors il est tentant de désirer se mettre à table ! Comme il n’y pas de chaise, il ne reste donc qu’à déambuler entre elles, en s’arrêtant devant chacune des « choses » qui y sont posées, de les regarder, de désirer les toucher, et de finalement s’en remettre à son imagination.
Regarder, c’est toujours tenter de faire se rejoindre l’œil et la main en s’appropriant la consistance fragile de ce qui nous est offert. Voir, c’est quand ils se touchent un instant en caressant de leurs doigts invisibles et magiques « la chose » qui les attend, offerte et si proche et pourtant inaccessible. Même la posséder n’y changerait rien.
Disposées comme des plats à déguster, mais seulement avec les yeux, les Maquettes abandonnées de Mengzhi Zheng nous parlent une langue que nous ne reconnaissons pas de suite. Leur allure de caverne ouverte, de maison sans toit, de grotte transpercée, d’enchevêtrement hasardeux, nous surprend. Leur dimension restreinte nous attire. Ce sont, à l’évidence, des maisons de conte de fées miniatures mais que peuple un vide sidéral.
Ce vide n’est pas manque, il est action. Il ne cesse de passer entre les pans de couleur et les plaques de bois, de souffler entre les arrondis et les angles, de creuser le silence entre les lignes, d’affirmer qu’il existe quelque chose de non visible et pourtant sensible qui court entre l’œil et la main, comme entre le soleil et la terre.
Et ce vide, nous nous surprenons à le remplir des vagues que notre imagination, qui s’éveille à leur contact, fait refluer dans notre crâne. Et ces vagues nous les voyons se transformer en mots, en images intimes, en associations désordonnées. Ça y est nous y sommes, là dans cette maison ouverte à tous les vents et nous nous prenons à repenser aux maisons des contes de fées.
Et puis non ! C’est autre chose qui nous emporte, nous transporte au-delà de nous-même qui sommes passés à travers ces Maquettes abandonnées. C’est nous qui nous mettons à dessiner et construire et détruire et reconstruire encore, voyageant à travers les formes et les lignes, les couleurs et les plis, épousant le vide, devenant le vent. Et puis soudain, après un temps de voyage à travers les tables, un œil malgré tout jeté de temps en temps sur les murs où trônent des images de vraies maisons et des dessins étranges, on comprend. On comprend que l’œil et la main ne sont pas des alliés de circonstances mais d’éternels porteurs de bonnes nouvelles. Œil et main font que le visible et le sensible se rencontrent en nous d’une manière telle que l’on comprend que de toucher avec les yeux seulement signifie que l’imagination est revenue nous hanter et qu’elle est, enfin seul maître à bord.


photo : Mengzhi Zheng © Adagp, Paris, 2019